jeudi 19 avril 2012

Capucine Trochet, "partie seule sur une petite barque"...


Cette fille est une force de la nature. Tout ce qu'elle entreprend, c'est à fond et à l'extrême. Construire à 17 ans une école au Burkina Faso, traverser à pied la Cordillère des Andes, et se lancer dans un projet de mini sans avoir jamais fait de voile. Une hospitalisation difficile et longue fait tomber à l'eau ce dernier projet, mais, à peine sortie et pas encore totalement réparée, elle en fait un autre, et non des moindres: celui de traverser l'Atlantique à bord de Tara Tari, un petit bateau en fibre de jute, construit au Bangladesh.
Partie le 17 novembre de La Ciotat, elle a traversé la Méditerranée en plein hiver, une expérience parfois douloureuse et difficile...

A présent à Gibraltar, elle prend le temps de réparer son bateau, et de se reposer, avant de repartir pour les Canaries...


Rencontre avec une jeune femme exceptionnelle:

Quand et comment as-tu débuté la voile?
J'ai découvert la voile à l'âge de 20 ans, en croisière avec des amis, mais mon truc, c'était la montagne. Depuis que je suis enfant avec mes parents et mes frères, je passe beaucoup de temps dans les Alpes. Il y a quelques années, alors que je terminais un long périple montagnard, du nord au sud de la Cordillère des Andes, je suis arrivée à l'extrême sud de l'Amérique du Sud. En haut d'une falaise, je suis restée un long moment à regarder la mer, déchainée. Les couleurs, le caractère si sauvage de cette immensité bleue... c'était magnifique. Plus sud, c'était l’Antarctique, cela me fascinait, mais pour y aller, il fallait naviguer. Alors c'est là qu'est née l'envie d'apprendre à naviguer. Je suis rentrée en France, j'ai travaillé pour mettre des sous de côté et je me suis lancée en Mini 6.50. C'était en 2009.

Tu as dû être hospitalisée, qu'est-ce qu'il s'est passé?
Peu de temps après être arrivée en Bretagne pour démarrer mon projet Mini 6.50, j'ai eu un problème à une jambe, il a fallu m'opérer. Et tout s'est compliqué, 2 ans et demi dans les couloirs d'hôpitaux, des opérations assez lourdes aux deux jambes. J'ai ensuite été hospitalisée au centre de rééducation de Kerpape, près de chez moi. Ma santé se dégradait au fil des semaines, malgré les soins. On a découvert que j'avais un problème assez sérieux qui touchait mes ligaments et mes articulations. Un truc rare, de naissance, qui fait mal et qui ne se soigne pas, mais qui n'est pas vital: mes ligaments sont tellement souples que mes articulations se déboîtent pour un rien. J'ai passé 7 mois dans un lit jusqu'à l'été dernier, et ne me déplaçait qu'en fauteuil roulant électrique. Cela a été très dur à vivre, et très douloureux surtout. Je suis sortie de Kerpape fin juin 2011, sans marcher vraiment bien et j'ai dû enchaîner ensuite pas mal de consultations spécialisées, à Lorient, à Rennes et à Paris pour à chaque fois entendre "la recherche avance, mais il n'y a pas encore de traitements". Il faut donc apprendre à vivre avec la douleur physique.

Comment s'est fait ta rencontre avec Tara-Tari?
En décembre 2010, mon chirurgien m'a dit qu'il fallait encore m'opérer et qu'il y avait urgence. Une opération lourde comme ça compromettait définitivement mon projet de Mini Transat. C'était pendant le salon nautique et à ce moment-là, j'écrivais sur l'aventure de Corentin (de Chatelperron) qui exposait Tara Tari. Alors, quand je suis revenue au salon, nous avons pas mal parlé. Corentin ne savait pas ce qu'allait devenir son bateau car il devait repartir au Bangladesh, et moi je ne pouvais plus faire la Mini Transat, alors j'ai proposé à Corentin de prendre soin de son bateau, de le remettre en état et pourquoi pas, de naviguer. On était sur la même longueur d'ondes. 




Quand est né ton projet?
Toute petite et pendant des années, je racontais souvent à mon réveil, ce rêve de "partir seule sur une petite barque". Ce qui étonnait ma mère car je n'avais pas 5 ans et je n'avais jamais été dans un univers marin. Partir en mer est un rêve qui date donc de la toute petite enfance, mais les événements de la vie ont décidé du timing. Un projet, quel qu'il soit, commence par une idée. Cette idée doit faire son cheminement pour pouvoir se concrétiser. Dans mon lit d'hôpital je me suis promis de tout faire pour vivre ce rêve. Mon aventure à bord de Tara Tari a commencé à se concrétiser lors de mon hospitalisation; je me suis accrochée et cela m'a aidé.

Quel est ton objectif dans cette aventure?
C'est une question que l'on me pose souvent. Or je ne sais pas s'il y a un objectif particulier. Mon aventure est un mode de vie. Une vie dans une extrême simplicité, un peu en marge de tout, mais une vie, à mes yeux, plus proche de l'essentiel. Corentin avait eu une belle idée et je trouve important de continuer à faire naviguer ce petit voilier en fibre de jute, et aussi de continuer dans cet esprit de navigation simple et épurée. Le jute peut être une vraie solution d'avenir pour le Bangladesh et Corentin travaille dur pour concrétiser cet espoir. C'est important que Tara Tari navigue, cela permet de continuer à tester la résistance de la fibre de jute "sur le terrain".
Et puis voilà, sans trop de moyens, on peut vivre de belles choses, et c'est important de savoir que c'est possible. Lors d'une escale, un couple est venu me parler, intrigué. Le lendemain, l'homme est revenu et m'a dit les larmes aux yeux que mon aventure le bouleversait, qu'il se rendait compte qu'il n'avait pas de rêves, pas de passions. Il m'a dit merci, car il réalisait grâce à mon aventure qu'il pouvait se permettre de rêver. Deux mois plus tard, il m'a envoyé un mail en m'expliquant qu'avec sa femme ils s'étaient mis à faire du miel et qu'ils commençaient à se passionner pour les abeilles. Certains rêves sont accessibles. Je crois que Tara Tari est porteur d'un message, qu'il dévoile au fil des milles et des rencontres.  

Ce n'est pas la première fois que tu te lances dans un projet "humanitaire"?
Je n'aime pas trop le terme de "projet humanitaire". A mon sens la vie entière devrait être humanitaire.
Quand j'avais 15 ans, je me suis lancée dans un projet de construction d'école primaire dans un village de brousse au Burkina-Faso. Deux ans pour mettre tout cela en place, et à 17 ans, juste après mon bac, je suis partie là-bas pour commencer la construction. Projet indépendant à toute structure, rien ne s'est fait dans la facilité. Mais quatre ans plus tard, malgré les difficultés, les inondations et malgré la guerre civile en Côte d'Ivoire, l'école a ouvert ses portes. C'est une petite école qui marche comme sur des roulettes. C'est chouette d'aller au bout de ce que l'on entreprend et cela fait 15 ans que je vis une profonde amitié avec ce village.
"cette petite école est l'une des "choses" les plus importantes de ma vie: elle m'a construit quand je l'ai construit. Tout comme Tara Tari m'a réparé quand je l'ai réparé. Le partage, c'est ça le "truc"!"


Tu es partie en novembre. Combien de temps as-tu prévu de consacrer à ta traversée?
Mon aventure n'est pas simple, les risques sont nombreux alors j'essaie de ne pas me stresser avec les timings. J'avance en fonction du vent, de la mer, et de ce que Tara Tari et moi pouvons faire. Je ne sais pas combien de temps cela nous prendra, mais je prends le temps de faire les choses en sécurité. Savoir prendre son temps, c'est important pour que tout se passe bien.

A ce rythme, ne crains-tu pas de te retrouver aux Antilles à la période des cyclones? Comment comptes-tu organiser la suite de ton voyage?
Non il n'y a aucun risque de me retrouver aux Antilles avec les cyclones, car je ne partirai pas traverser l'Atlantique dans une période "à risques". Là encore, j'attendrai le bon moment pour traverser, aidée par Bernard, mon routeur Greatcircle, même si cela implique d'attendre l'hiver prochain. La sécurité est la priorité et de toute façon, je ne pense pas encore à la traversée, car la route est longue!

Comment s'est passé le début de ton périple? qu'en retiens-tu?
Déjà 5 mois en mer pour sortir de Méditerranée.. tout s'est très bien passé. Je suis ravie que l'hiver se termine enfin car les nuits sont terriblement longues, froides et humides. C'était rude, mais maintenant la chaleur va arriver, surtout que j'arrive dans des latitudes plus clémentes. Je suis contente car j'ai su prendre les bonnes décisions. On dit que l'hiver, la mer Méditerranée est dure, je sais désormais que ce n'est pas une légende. Ce n'est pas simple d'expliquer ce que je retiens du début de l'aventure, car il y a eu tant de choses.
Des petits problèmes, j'en ai eu tous les jours. il faut savoir bricoler et trouver le truc pour ne pas se retrouver dans une situation compliquée. Le plus gros problème, c'est une entrée d'eau qui m'a pris beaucoup d'énergie car j'avais parfois plus de 300 litres d'eau à écoper en 5h! c'était dur. Et le moteur qui ne marche pas, cela ne m'a pas aidé non plus.
A Gibraltar, je répare tout cela.. pour partir dans de bonnes conditions vers les Canaries..
Quand on a un rêve, l'une des plus grandes difficultés est d'oser larguer les amarres. Mais cela vaut le coup. Je suis vraiment, vraiment heureuse avec Tara Tari.

La vie sur Tara Tari en quelques mots:

Nourriture:
Je me nourris beaucoup de fruits secs : amandes, noisettes, figues etc. et de fruits frais que je trouve lors des escales. 
Le midi, du thon ou des sardines en conserve, et le soir, des nouilles chinoises: ça a le mérite de ne pas peser lourd. 
J'ai aussi quelques sachets de nourriture lyophilisée, que m'ont offert des amis marins, comme Cécile Poujol, Rémi Beauvais, Jean Le Cam, Michel Desjoyeaux.
Mais il a fait tellement froid que le sachet était froid alors que je n'en étais qu'à la moitié. Ce n'était pas agréable.
Pour le plaisir, j'ai quelques tablettes de chocolat. 
Je ne bois que de l'eau.
Pour cuisiner, j'ai un petit réchaud camping gaz, une bouilloire et une petite casserole.
Une cuillère, pas de fourchette, deux couteaux et des baguettes.
  
Sommeil:
Je dors par sieste de 10 minutes, pas plus. Ce serait dangereux, car il y a beaucoup de bateaux de pêche, de cargos, de fermes piscicoles et autres bouées. C'est le problème de la navigation côtière.
Mais j'avoue ne jamais avoir pu dormir beaucoup. Parfois 48h d'affilée sans dormir, c'est la limite. J'ai eu des hallucinations. 
Il faut essayer de dormir dès que la météo le permet, même si on ne se sent pas trop fatiguée. Car en cas de tempête, c'est impossible, trop de boulot sur le pont!

Toilette:
hum... pas de salle de bain, alors je me débarbouille comme je peux et quand le temps le permet. J'ai un seau multi-fonction. WC, mais aussi douche quand cela s'impose. A l'eau de mer.
Le sel me dérange moins que le froid, mais maintenant que la chaleur va revenir, c'est top. Il m'arrive de passer 6 jours sans me laver vraiment.. ça peut paraître dégoûtant vu de la terre, mais bon, je n'ai pas toujours eu des conditions météo qui me laissaient le loisir de me laver. J'ai profité de la pluie pour me dessaler et me laver les cheveux. En arrivant au port, après un peu de repos, la douche est aussi agréable que nécessaire!
  
Temps libre:
Je n'ai pas beaucoup de temps libre car il y a toujours quelque chose à faire à bord! bricolage, point sur la carte, vider l'eau, régler les voiles, surveiller les bateaux de pêche, les cargos... c'est non-stop!
Je suis un vrai radar à bord. Les rares moments de temps libre, je lis un bon livre, je joue de l'harmonica, je fais une sieste sur le pont... et il m'arrive aussi de ne rien faire! de regarder la mer, la côte qui défile et de ne penser à rien. je m'évade.
Mes livres: une dizaine de livres dans ma bibliothèque: des récits de mer de Bernard Moitessier, Henry de Monfreid ou encore l'expédition du Kon Tiki etc, mais aussi des livres de récits de montagnes ou de désert, pour changer d'univers tout en restant dans les grands espaces: Roger Frison Roche (Premier de cordée, la Grande Crevasse etc), Théodore Monod, L'Alchimiste et aussi des livres d'Eric Orsenna, et du grand Antoine de Saint Exupéry. J'ai aussi le livre écrit par Corentin qui s'appelle "L'aventure de Tara Tari", un de mes favoris ;)


Suivez son aventure sur http://whereistaratari.blogspot.fr 


Claire G.

2 commentaires:

  1. Cette jeune femme est une force de la nature ! Je suis admirative !

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  2. Impressionnant. Content d'avoir fait ta connaissance sur l'ile de Lanzarote. Fonces et profites en.

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